Pays basque : les marranes, ces juifs « secrets »

À la suite d’une bulle du pape Sixte IV en 1478, l’Inquisition frappe puissamment les juifs de la péninsule Ibérique, qui sont alors forcés à se convertir au christianisme. Au contraire de leurs coreligionnaires espagnols expulsés ou en fuite, les nouveaux chrétiens portugais, appelés « conversos », ont interdiction, par décret, de quitter leur pays natal. Ces israélites vivent alors leur judaïsme dans le plus grand secret. Ils sont appelés « marranes ». Dérivé de l’arabe « mahram » (ce qui est interdit), le terme de marrane – « marrano » en castillan et en portugais – est une insulte à l’endroit des juifs et des musulmans. Car il désigne aussi le porc, dont la consommation est prohibée par ces deux religions. D’autres origines étymologiques sont avancées (hébreu, araméen) pour ce terme, mais toutes convergent vers l’offense.
Nombre de marranes persécutés franchissent les frontières de la péninsule Ibérique, pour s’établir en France. Plus tard, ils sont même reconnus comme « Nation portugaise » par édit royal et arrivent massivement au Pays basque aux XVIe et XVIIe siècles (1). Ils sont alors autorisés à pratiquer leur religion sans se cacher. « Il y a eu jusqu’à 3 500 familles (près d’un millier à Bordeaux). Aujourd’hui, on en compte 250 à 300, de Mont-de-Marsan à Hendaye », concède Déborah Loupien-Suarès, adjointe au maire et présidente depuis trois ans du consistoire (assemblée du conseil d’une synagogue, NDLR) de Bayonne.
« La parité n’est pas totale en France, mais nous sommes bien défendues », assure cette femme déterminée de 40 ans, aux origines portugaises, mariée et mère de deux enfants. Elle a « succédé » à son grand-père au conseil municipal bayonnais, où il a officié pendant quarante-cinq ans. Sa délégation d’adjointe embrasse plusieurs missions : égalité femme-homme, handicap et ville inclusive, lutte contre les discriminations, relations avec les cultes. Sourire de l’intéressée : « Nous nous entendons très bien avec les autres communautés religieuses : catholique, protestante et musulmane. » Déborah Loupien-Suarès est aussi avocate et son cabinet siège place de la République, allée Suarès à Saint-Esprit, quartier historique des juifs exilés de la péninsule Ibérique.

La synagogue de Bayonne inaugurée en 1837
À l’arrivée des marranes fuyant l’Inquisition, Saint-Esprit-lès-Bayonne, sur la rive droite de l’Adour, n’était encore qu’un village. Jusqu’à son intégration à Bayonne en 1857, c’est encore une commune autonome. Importateurs de chocolat, négociants, armateurs, les « juifs portugais » occupent une place importante dans la cité. S’acquittant d’une redevance pour franchir le pont, ils commercent à Bayonne, entre le lever et le coucher du soleil.
Ils obtiennent leur droit de citoyenneté le 7 novembre 1787, via l’édit de Versailles, paraphé par Louis XVI. Cet édit, dit « de tolérance », permet aux personnes non catholiques d’avoir un statut juridique et civil. Leur intégration a, semble-t-il, été plus douce et prompte au Pays basque intérieur, notamment à Bidache et à La Bastide-Clairence, où 70 à 80 familles ont été recensées au XVIe. La Bastide-Clairence a d’ailleurs accueilli le premier cimetière marrane, devenu israélite, en 1659. Les inscriptions sur les tombes s’étalent de 1620 à 1785 et le site a été profané par les Allemands en 1941 (2).
